Sauramps

Éthique, déontologie en situation de catastrophe

Henri JULIEN

L’éthique, domaine où la pensée détermine l’action manifestant la liberté de l’homme¹ et sa responsabilité, est l’application de la morale à une situation. La désorganisation sociale et l’état de nécessité entraînés par la catastrophe impliquent le passage d’une éthique individuelle à une éthique de groupe circonstancielle².
Cependant les règles de l’éthique et sa transcription en droit, précisées par le code de déontologie, continuent de s’imposer au soignant, médecin, infirmier ou secouriste. L’urgence collective, la persistance du danger, les impératifs opérationnels peuvent en imposer une adaptation. Les commentaires de l’article 1 du code de déontologie médicale³ ont prévu la situation de catastrophe en rappelant de s’y référer autant que possible en cas de situation imprévue. 

En situation de catastrophe, le « colloque singulier » est rarement réalisable. La filière de soins fait intervenir une succession d’intervenants dans un exercice de groupe improvisé. La parcellisation de l’acte, l’anonymisation, l’objectif de célérité et d’économie des gestes techniques ne doivent pas contribuer à une déshumanisation des actes et à l’oubli des impératifs déontologiques :

  • obligation pour tout médecin, comme pour tout citoyen, à porter secours (article R4127-9) ;
  • respect de la moralité, de la probité (article R4127-3) ;
  • respect de la vie humaine, de la dignité de l’individu même après la mort (article R4127-2) ; impératif de compétence (article R4127-11), de respect des données acquises de la science (R4127-32);
  • confidentialité et discrétion pour ceux aussi qui travaillent avec lui (R4127-72) ;
  • accompagnement des mourants, des morts (R4127-38) et de leurs familles.

Ces impératifs sont d’application difficile :

  • le consentement (R4127-36) parfaitement éclairé par une information (R4127-35) « claire, loyale, appropriée » en prenant tout le temps nécessaire (R4127-33) est souvent impossible ;
  • le triage imposé par l’afflux, la pénurie et l’urgence, est un acte délicat⁴ (article R4127-7) qui privilégie
    le groupe par rapport à l’individu ;
  • ’amputation de dégagement, des gestes invasifs ou palliatifs peuvent être décidés sans discussion confraternelle préalable (R4127-69) ;
  •  l’indépendance du médecin (R4127-5, R.4127-95) est contrainte au coeur d’une organisation planifiée sous la responsabilité du COS et du DSM ;
  • Les règles propres au pays d’intervention à l’étranger et incompatibles avec notre déontologie doivent-elles nous conduire à nous récuser ? (R4127-47)
  • la préservation des droits ultérieurs de la victime, certificat et dossier médical (R4127-45) se résume souvent à la fiche de catastrophe dont la traçabilité devient indispensable.

Acteur permanent ou occasionnel du service public, le devoir de réserve5 s’impose au sauveteur ainsi que le respect de la vie privée et du droit à l’image des victimes⁶.

Lorsque le médecin a perdu tous ses outils, ses repères, c’est le respect de la morale qui reste l’impératif catégorique de sa conduite⁷, associé à ses connaissances et à son expérience⁸ partagées avec ses confrères et/ou sa hiérarchie.

A retenir des impératifs généraux :

  • Sauvegarder la vie, préserver la santé et protéger la population ;
  • Préserver l’intérêt supérieur des victimes, la confidentialité, le secret médical ;
  • Traiter les victimes avec humanité, respect, impartialité et sans discrimination ;
  • Éviter tout acte contraire à l’éthique médicale et refuser d’obéir à toute injonction qui ne correspondrait pas à ses valeurs ;
  • Agir dans les limites de sa compétence, se préparer et s’entraîner à l’intervention en SSE ;
  • Traiter les morts avec respect en favorisant les rites funéraires et le deuil des familles.


Sur le terrain :

  • Être reconnu comme médecin : tenue, chasuble ;
  • Rappeler et faire appliquer les principes éthiques de l’exercice médical ;
  • Promouvoir les notions d’intégrité, d’honnêteté intellectuelle, de responsabilité, du respect de la dignité, de l’égalité, de la diversité et de la vie privée⁹ ;
  • Exemplarité, respect, bienveillance et générosité doivent conduire l’action.


Lors de circonstances exceptionnelles, de catastrophes, le soignant reste soumis aux règles d’éthique et de déontologie. Amené à s’affranchir de dispositions formelles du code, il doit le faire de façon proportionnée aux contraintes liées à la situation à laquelle il doit faire face⁴.

1. Baruch Spinoza. Ethique, démontrée suivant l’ordre géométrique et divisée en cinq parties. Flammarion Poche. Paris. 1993
2. Pierre CUER. Quelques repères d’une éthique de médecine des catastrophes pour médecins, infirmières, infirmiers, soignants, secouristes. Ethique et médecine des catastrophes. Editions du Conseil de l’Europe. Strasbourg. 2002. P. 55-63
4. Ricard-Hibon A. et al. Triage et identification des victimes : de la clinique à l’implication médicolégale et éthique. Urgence et situation d’exception. Journées scientifiques de la SFMU, Lyon 2009. Paris ; Société Française d’Edition Médicale : 2010. P. 143-78.
5. Devoir de réserve. Conseil d’Etat, n° 97189, 28 juillet 1993
6. Règlement (UE) 2016/679 du parlement Européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32016R0679 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32103
7. Kant Emmanuel. Fondement de la métaphysique des mœurs. Trad. Isabelle Pariente-Butterlin, collection Ellipses. Paris. 2015
8. Donnadieu S., Faroudja J-M. Ethique, déontologie et catastrophe. In Manuel de médecine de catastrophe. Paris Lavoisier 2017 ;Ch. 6 ; 69-76.
9. Code d’éthique et de déontologie de l’OMS. https://www.who.int/about/ethics/code_of_ethics_abridged_fr.pdf