Crush syndrome, Syndrome de Bywaters ou Rhabdomyolyse aiguë traumatique sont équivalents.
Ce syndrome correspond aux complications systémiques aiguës (hyperkaliémie, choc hypovolémique précoce et insuffisance rénale) d’un syndrome des loges avec nécrose musculaire ischémique.
Il est secondaire à la compression continue et prolongée des masses musculaires avec ou sans compression vasculo-nerveuse.
Le syndrome est complet en 3 à 4 heures. Après 8 heures de compression, les lésions musculaires sont irréversibles.
La levée de la compression musculaire est le seul traitement étiologique du crush syndrome.
Pour autant, la levée de la compression locale sans précaution remet en circulation des facteurs responsables du syndrome général (notamment le potassium) et peut avoir des conséquences dramatiques.
Ainsi, la prise en charge symptomatique est débutée in situ avant le dégagement de la victime et se poursuit pendant et après la levée de la compression.
Elle est centrée sur 3 objectifs, dans le but de devancer les complications :
- La lutte contre l’hyperkaliémie qui engage le pronostic vital immédiat par trouble du rythme grave et arrêt cardiaque, véritable mort subite par bolus de potassium ;
- La prévention du choc hypovolémique précoce par extravasation plasmatique majeure dans les masses musculaires comprimées (constitution d’un 3e secteur), allant jusqu’au désamorçage cardiaque. Le remplissage vasculaire massif et continu diminue l’état de choc, dilue la kaliémie et assure la perfusion rénale ;
- La prévention de l’insuffisance rénale aiguë engageant le pronostic vital à moyen terme : IRA d’abord fonctionnelle (hypoperfusion rénale), puis organique (nécrose tubulaire aiguë par précipitation de la myoglobine dans les tubules rénaux).
Prise en charge sur le terrain :
Avant la levée de la compression :
- Évoquer le crush syndrome dès qu’il y a notion de compression musculaire prolongée d’un membre, notamment inférieur (surtout cuisse et fesse) ;
- Évaluation globale de la situation, en coordination avec le COS : risques associés dans l’environnement immédiat, durée de la compression, durée prévisible de l’extraction, accessibilité de la victime ;
- Mise en place d’un accès vasculaire : voie veineuse périphérique (attention à la fixation), alternative : dispositif intra-osseux ;
- Administrer du sérum salé isotonique : remplissage vasculaire initial d’1L en 20 min pour restaurer précocement une volémie efficace et diluer l’hyperkaliémie, puis secondairement adapté pour maintenir une PAS supérieure ou égale à 90 mmHg ;
- Avant le dégagement, vérifier la disponibilité immédiate des moyens permettant de traiter un ACR et une hyperkaliémie menaçante, à savoir : défibrillateur, adrénaline et gluconate de calcium en cas de menace immédiate ;
- L’analgésie est réalisée par du paracétamol IV et de la morphine titrée ;
- Éventuelle sédation par kétamine, voire anesthésie générale (privilégier kétamine et GammaOH) ;
- Protection thermique : lutte contre l’hypothermie.
Cas particulier du garrot :
En l’absence d’hémorragie, l’indication du garrot est extrêmement restreinte car souvent synonyme d’amputation ultérieure. Elle s’envisage face à une compression > 8 h, une compression > 4 heures avec un état de choc persistant malgré le remplissage, en cas d’absence de voie veineuse au moment du dégagement, en cas de membre broyé ou enfin lors d’une amputation de dégagement. Le garrot est toujours placé avant le dégagement et il faut bien noter l’heure de pose. Lorsqu’un garrot a été mis en place, son desserrement doit être réalisé avec prudence, de façon progressive, chez un patient monitoré, avec tout le matériel de traitement de l’hyperkaliémie et de l’arrêt cardiaque à proximité.
Amputation de dégagement : cf. fiche dédiée
Pendant et après la levée de la compression :
- Surveillance permanente du scope : impact cardiaque précoce de la hausse de la kaliémie par la progression des troubles qui suit une séquence chronologique :
• ondes T amples, pointues et symétriques ;
• allongement de l’espace PR ;
• aplatissement puis disparition de l’onde P ;
• élargissement des QRS ;
• extrasystoles ventriculaires ;
• puis tachycardie ventriculaire, fibrillation ventriculaire et asystolie. - L’alcalinisation par bicarbonate de sodium IV est réalisée à la posologie de 1 mEq/kg soit 2 ml/kg de bicarbonate de sodium à 4,2 % (VVP dédiée) : permet de limiter l’hyperkaliémie par transfert intracellulaire, mais également d’éviter la précipitation de la myoglobine dans les tubules rénaux ;
- Devant l’apparition de troubles du rythme cardiaque, des sels de calcium (gluconate ou chlorure) sont administrés en IVL (par exemple : 20 à 40 ml de gluconate de calcium à 10 % en 3 min) ;
- Sondage urinaire pour adapter le remplissage vasculaire et l’alcalinisation (mesure pH urinaire par bandelette) ;
- Pose d’une deuxième VVP. Le remplissage vasculaire par cristalloïdes balancés doit être poursuivi pour PAS> 90 mmHg. L’émission d’urines foncées témoigne de la myoglobinurie liée à la rhabdomyolyse. L’alcalinisation des urines et l’hyperdiurèse améliorent le pronostic rénal en favorisant la solubilité de la myoglobine. Les objectifs sont une diurèse d’au moins 2 ml/kg/h avec un pH urinaire supérieur à 6,5. En cas d’effraction cutanée, la prévention de l’infection par antibiotique (2 g d’amoxicilline-acide
clavulanique) et la prophylaxie antitétanique s’imposent.
Prise en charge hospitalière :
L’hôpital doit disposer d’un plateau technique associant une réanimation avec des moyens d’épuration extrarénale.
La suite de la réanimation est symptomatique et principalement centrée sur la fonction rénale.
Aspects diagnostiques :
Le bilan sanguin doit associer une gazométrie artérielle avec lactatémie à la recherche d’une acidose métabolique avec hyperlactatémie, un ionogramme sanguin recherchant une hyperkaliémie, une hyperphosphorémie et une hypocalcémie, un bilan de la fonction rénale avec urée et créatinine plasmatique en raison du risque d’insuffisance rénale, le dosage des CPK et de la myoglobine pour évaluer la rhabdomyolyse. La concentration sérique maximale de CPK est atteinte entre la 24 et la 48e heure suivant le traumatisme et est corrélée à l’intensité de la myolyse. Le taux de décroissance sérique est ensuite d’environ 35% par jour. Une concentration sérique des CPK supérieure à 1 000 UI/L impose une surveillance et une prise en charge. Une concentration supérieure à 6 000 UI/L serait un facteur prédictif d’insuffisance rénale. Le bilan urinaire associe diurèse et pH urinaire horaires, ainsi que sodium, potassium, urée, créatinine et myoglobine urinaires.
Aspects thérapeutiques :
La prise en charge des 3 premiers jours vise à maintenir une volémie efficace et entretenir une diurèse alcaline forcée.
Protocoles de remplissage vasculaire : solution de base contenant un mélange de 500 ml de sérum glucosé à 5% et 500 ml de sérum salé isotonique à 0,9%. Pour chaque litre ainsi obtenu, il est possible d’ajouter, au besoin (absence de recommandation, niveau de preuve très faible) :
- 50 ml de mannitol à 20% (soit 10 g) pour entretenir une hyperdiurèse « forcée » avec l’objectif de diurèse > 2 ml/kg/h, sans toutefois dépasser une dose totale cumulée de 200 g de mannitol ;
- 1 ml/kg de bicarbonate de sodium semi-molaire à 4,2% pour maintenir l’alcalinisation urinaire avec pH urinaire > 6,5.
Le volume à perfuser chez l’adulte jeune est de l’ordre de 250 à 500 ml/h soit environ 6 à 12 l/j et cela durant 2 à 3 jours. Un tel protocole, lorsqu’il est débuté précocement, permet de maintenir une volémie efficace, de contrôler l’hyperkaliémie, d’assurer l’alcalinisation des urines et d’entretenir une diurèse osmotique. Les diurétiques de l’anse ne sont pas recommandés.
Le recours à l’EER s’impose face à une dégradation de la fonction rénale, avec anurie, rétention hydrosodée et troubles électrolytiques menaçants.
Principaux objectifs de la réanimation¹ :
- Diurèse ≥ 2 ml/kg/h
- PAS ≥ 90 mmHg
- pH urinaire ≥ 6,5
- Kaliémie < 6 mmol/l
Conclusion
En situation de catastrophe, les problématiques spécifiques résident dans l’organisation des dégagements et leur médicalisation, la gestion d’afflux saturants de blessés dans des structures hospitalières potentiellement détruites ou inefficientes et le déficit en appareil de dialyse.