Sauramps

Amputation de dégagement

Bertrand PRUNET, Emmanuelle FONTAINE, Henri JULIEN

Geste radical et irréversible, l’amputation de dégagement est indispensable dans certaines situations sanitaires exceptionnelles (séisme et situation d’isolement) : incarcération de la victime retenue au niveau d’un membre, dans un espace suffisant garantissant sa survie, par une structure qui dépasse les possibilités techniques de libération par les sauveteurs mais qui permet d’y accéder. C’est un effondrement d’immeuble lors d’un séisme, un accident de transport ou plus rarement un accident de travail.

Ce geste nécessite un processus décisionnel codifié et multidisciplinaire associant l’ensemble des sauveteurs. C’est une opération de damage control dont le but est de sauver la vie de la victime selon le concept de limb or life. Elle peut être pratiquée sur le terrain par un médecin urgentiste à défaut de chirurgien.

L’amputation de dégagement est une amputation de nécessité (différente d’une amputation réglée) faite par un non chirurgien, la main forcée. La technique est spécifique : sous garrot artériel au plus distal, sous sédation vigile le plus souvent, avec emploi de matériel adapté au terrain (ergonomie complexe et espace contraint)¹ ².

Le médecin urgentiste ou anesthésiste-réanimateur est souvent isolé : absence de chirurgien, conditions difficiles, état précaire de la victime, problèmes éthiques et moraux.

Phase de préparation : prendre la décision :

La prise de décision collégiale associant médecin (pour l’appréciation de l’état général de la victime) et sauveteurs-déblayeurs (affirmation de l’impossibilité de dégagement) est difficile et ne doit pas être trop tardive au risque d’aggraver la situation clinique. Elle est plus large si la partie retenue du membre est écrasée, broyée.

Les indications de l’amputation de dégagement sont les suivantes :

  • patient gravissime avec nécessité d’un dégagement ;
  • environnement avec un danger immédiat pour la victime et/ou les équipes de secours ;
  • contexte d’intrication qui après analyse ne trouve aucune autre solution de libération possible. L’analyse via le score MESS³ est difficile voire illusoire en situation sanitaire d’exception.


A l’international, la validation par le LEMA⁴ et les autorités locales est indispensable. Outre le handicap et le traumatisme physique et psychique, la représentation de l’amputation dans certains pays peut être péjorative (crime) et doit donc être pris en compte. 

Préparer l’intervention :

  • Evaluer le niveau de soins des structures locales et leurs annoncer la prise en charge d’un patient en
    post-amputation, y compris chirurgie de régularisation en post-dégagement
  • Prévenir le patient ou avoir son consentement autant que possible ;
  • Se préparer et s’entrainer à effectuer ce type de geste ;
  • Disposer et préparer matériels et médicaments nécessaires : scie câble de Gigli pour les espacescontraints (ou scie égoïne) et des médications sédatives analgésiques pendant et en post-amputation.

 

Préparation du geste d’amputation :

  • Améliorer autant que possible les conditions d’ergonomie : dégagement, éclairage et ventilation du site, aide par infirmier⁵, préparation de toutes les phases d’intervention ;
  • Briefing des équipes pour une bonne coordination entre les différents acteurs de secours. Le dégagement sera anticipé avant l’amputation ;
  • Contact verbal rassurant, clair et empathique avec la victime et recherche de son accord ;
  • Mise en place d’un abord veineux si possible en territoire cave supérieur (VVP ou IO)5. Réhydratation IV souvent nécessaire.
  • Monitorage des fonctions ventilatoires, fréquence cardiaque et si possible PNI et SpO2 ;
  • Préparation le plus propre possible de la zone de travail, badigeonnage large avec antiseptique ;
  • Antibiothérapie à large spectre discutée en fonction de l’état de la victime et de la filière de soins.
  • Privilégier l’analgésie vigile est fondamental (exemple pour un adulte : 1 à 2 mg/kg IV de kétamine après 1mg d’atropine et 2 à 3mg de midazolam IV).
  • Pose d’un garrot tourniquet artériel efficace au plus distal pour une section exsangue et le renforcer par la pose d’un deuxième garrot d’amont en attente.


Réalisation de l’amputation :

  • L’amputation devra être la plus distale⁶ et conservatrice possible⁷ dans les conditions les plus propres.
    Section franche musculaire et osseuse la plus distale et simple possible. L’emballage se fera après désinfection large par antiseptique ;
  • Ne pas relâcher le garrot qui accompagnera le blessé. Si nécessaire contrôler le saignement par une ligature vasculaire ;
  • Désinfection large et emballage du moignon.


Post-intervention :

  • Maintenir une analgésie et un contrôle du saignement correct ;
  • Consigner avec précision sur la fiche d’évacuation du patient les horaires et les gestes réalisés ;
  • La régularisation chirurgicale se fera dans un second temps au bloc opératoire avec moignon d’amputation ;
  • A l’international : si victime confiée aux soins des équipes de secours locales (transmissions écrites et orales), nécessité d’information du LEMA et du Centre de coordination des opérations sur-site.
1. Denis Larger, Emile Roux – Amputation de dégagement. Usage de la Kétamine® et de l’EZ/IO. A propos d’un cas. Urg Pratique. 2010 ; 102b : 71-74.
2. S. Waroux, F. Peduzzi, H. Marsaa et al.- Amputation d’extraction par un urgentiste. JEUR. 2013 : 25 : 208-2019
3. MESS (Mangled Extremity Severity Score) : score de sévérité des mutilations des extrémités. Valeur prédictive positive d’amputation de 100% si total supérieur à 7. https://www.ncbi.nil.gov/pmc/articles/PMC3567424
4. C’est un équivalent du COS le LEMA (local emergency management authority) : autorité locale de gestion des urgences.int/eadrcc/ 2011 NATO. https://www.nato.int/eadrcc/2011/08-CODRII-moldova/mpc_ppt/LEMA_role-and-objectives.pdf
5. Farid Aït-Mohamed, Stanislas Waroux, Hugues Lefort - Rôle de l’infirmier dans l’amputation de dégagement. La revue de l’infirmière. Mars 2015. N°209.
6. Henri Julien, Guy Larcher, Hugues Lefort – Amputation de dégagement en situation de catastrophe. In Manuel de médecine de catastrophe. Lavoisier. Paris 2017 ; 708-711
7. Best Practice Guidelines on Emergency Surgical Care in Disaster Situationshttps://reliefweb.int/report/world/best-practice-guidelines-emergency-surgical-case-disaster-situations »