Sauramps

Catastrophes, SSE et médecine de catastrophe

Henri JULIEN

La catastrophe se traduit pour les personnels de santé comme la survenue brutale de victimes en nombre.
Générée par un aléa prévisible ou inopiné, elle crée une situation de chaos temporaire imposant des règles de management qui reposent sur l’anticipation (planification) et une réponse adaptée (direction des secours).
L’afflux de victimes crée une disproportion entre une augmentation brutale des besoins de santé et les moyens immédiatement disponibles. La nature des agressions physiques ou psychiques impose de recourir à des techniques adaptées qui procèdent de la médecine de catastrophe.
Dès 1983 elle s’est intéressée aux soins des victimes blessées somatiques, puis psychiques, aux risques NRBC puis sanitaires pour s’ouvrir aux conséquences médico-sociales, à la capacité de résilience de la population.
La catastrophe est appelée disaster par les anglo-saxons, prend le nom de Situations Sanitaires Exceptionnelles (SSE) dès lors qu’il s’agit de catastrophes sanitaires.

Catastrophe est un mot grec qui signifie bouleversement. Plus que disaster, il souligne la nécessité de répondre au chaos des premiers instants, de bouleverser ses habitudes, d’adapter son comportement.
Les aléas qui conduisent à une urgence collective et une catastrophe ont été classés en aléas naturels, technologiques, sociaux (ces deux derniers regroupés sous l’appellation anthropogenics pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)) et situations sanitaires exceptionnelles (SSE)¹.
L’inadéquation entre l’augmentation brutale des besoins de santé et les moyens disponibles définit la situation médicale. Ce déséquilibre qui caractérise la situation médicale de toute catastrophe a été proposé par Raoul Fabre². A l’augmentation brutale des besoins sanitaires ne correspond pas, temporairement ou durablement, la disponibilité symétrique des moyens correspondants nécessaires.
Ce sont les conséquences géologiques, économiques voire financières ou assurantielles qui sont souvent médiatiquement retenues. Elles peuvent être majeures mais ce sont les conséquences humaines qui ont motivé les médecins : l’existence de blessés somatiques ou psychiques, les effets négatifs sur l’état de santé des populations. Dès sa naissance, la médecine de catastrophe a répondu à une préoccupation humanitaire qui est aussi une de ses marques.
La mitigation des catastrophes vise à en diminuer les conséquences par l’anticipation³ : la formation des personnels, la planification des interventions, la mise au point de matériels et de méthodes, la définition du cadre administratif et financier, la préparation de la population pour une meilleure résilience.
La médecine de catastrophe recourt à la médicalisation sur le terrain par les médecins à l’exemple de la médecine des armées et la médecine d’urgence en France. Elle repose sur trois piliers opérationnels⁴ :

  • Technique : triage, décontamination, utilisation des antidotes, damage control, soutien médico-psychologique ;
  • Organisationnel : le personnel de santé ne travaille pas seul mais dans une chaîne de secours et de soins,
    transdisciplinaire, où chacun a un rôle défini dans une organisation hiérarchisée garante de son efficacité ;
  • Logistique : projeté sur le terrain, le personnel de santé ne peut travailler qu’avec les moyens qui sont préparés, acheminés, déployés : le sac à dos individuel, les lots catastrophe et Postes Sanitaires Mobiles, tentes constituant PMA, moyens de transport…


Deux types de catastrophes se distinguent par leur mode de réponse : les accidents catastrophiques à effets limités⁵ (ACEL) qui font appel aux seuls moyens locaux de sûreté, de secours ou de soins ; les catastrophes majeures où ces moyens sont inhibés, pour lesquels des détachements opérationnels extérieurs doivent être envoyés⁶.
La médecine de catastrophe se distingue de la médecine d’urgence quotidienne par son caractère collectif, des techniques appropriées, dans un contexte nécessitant une approche multidisciplinaire tout en lui empruntant les techniques de l’urgence quotidienne.

Elle se distingue également de la médecine des armées, à laquelle elle emprunte beaucoup de ses techniques, par une adaptation nécessaire aux caractéristiques civiles. Les aléas et les risques peuvent être différents (séismes, accidents industriels, épidémies…), les populations ont des caractéristiques démographiques distinctes (enfants, handicapés…), les personnels et les moyens pour y faire face sont spécifiques.

Dès 1983, une formation universitaire a été prévue en France. La société française de médecine de catastrophe⁷ a été fondée parallèlement pour en assurer la formation continue post-universitaire et permettre l’échange des retours d’expérience et la recherche, facteurs de progrès. Une revue dédiée en assure la diffusion⁸.

Domaine dans lequel l’improvisation conduit à l’inefficacité, la médecine de catastrophe est un concept internationalement reconnu. Elle s’assimile à la médecine humanitaire qui a marqué son exercice.

  • Se former, se préparer : pratiquer la médecine de catastrophe nécessite une formation initiale, un entrainement régulier, un maintien des compétences et une condition physique adaptée, un état vaccinal à jour ;
  • Ne pas travailler isolément : intégrer le schéma opérationnel unique, hiérarchisé, facteur d’efficacité et de prévention de gaspillage de moyens limités ;
  •  Respecter les consignes de sécurité : le site d’intervention est souvent encore agressif. Le comportement, la tenue vestimentaire doivent être adaptés, avec port d’équipement de protection individuelle. Un médecin blessé est une victime de plus ;
  • Adopter un comportement calme et réfléchi : une catastrophe est génératrice de stress.

 

1. René Noto, Pierre Huguenard, Alain Larcan. Médecine de catastrophe. Abrégé Masson. Paris 1987 ; p. 10-40
2. Raoul Fabre. L’homme et les catastrophes. SPEI éditeur. Paris, 1966. p. IX
3. Pierre Huguenard. Définitions. In Traité Catastrophes de la stratégie d’intervention à la prise en charge médicale. Elsevier 1996. P. 23-27
4. Henri Julien. Concept de catastrophe. In Manuel de médecine de catastrophe. Lavoisier Médical. 2017 ; 16-30.
5. Alain Larcan, André Sibué, Benoît Hohl, René Vincent. Bull Acad Nat. Méd. 1983 ;167 ;579-88
6. Pierre Chevalier. Les colonnes mobiles de secours. Service de santé des armées. Médecine en situation de catastrophe coordonné par L-J Courbil. Masson. Paris 1987 ; P.33-38.
7. Société Française de Médecine de Catastrophe. www.sfmc.eu
8. Revue de médecine de catastrophe, urgences collectives et SSE. Elsevier. https://www.em-consulte.com/revue/PXUR/presentation/medecine-de-catastrophe-urgences-collectives#:~:text=L’objectif%20de%20la%20revue,travaux%20scientifiques%20et%20techniques%20pouvant »