Sauramps

Triage en médecine de catastrophe

Bertrand PRUNET, Henri JULIEN

Le triage, d’abord militaire, a été adapté aux urgences collectives civiles. L’impossibilité de traiter immédiatement toutes les victimes (déséquilibre entre besoins et moyens, nécessité de gérer la pénurie) oblige à prioriser les plus graves ; l’intérêt collectif prime sur l’individuel1. Primitivement pratiqué à l’entrée du poste médical avancé (PMA), il est aujourd’hui séquentiel, débuté dès le relevage, finalisé à l’hôpital. Le triage est évolutif, revu en fonction de l’évolution clinique, adapté au type de blessure et à la capacité d’évacuation et d’accueil. Un support physique ou numérique en assure la visibilité et la traçabilité. Il faut savoir
distinguer le triage en urgence pré-hospitalière, pratiqué sur le terrain d’autres scores ou algorithme de décision des services d’urgence ou chirurgicaux hospitaliers ; la situation d’emploi et les buts étant différents.

Quels sont les quatre buts du triage² ?

• Etablir une priorité de traitement : Repérer et prendre en charge dans les meilleurs délais ceux pour
qui les soins ont une importance vitale et/ou nécessitent des soins immédiats sans retard ;
• Constituer des groupes homogènes de victimes : pour augmenter l’efficacité des équipes insuffisamment
nombreuses : urgentistes et chirurgiens pour les plus graves, sinon soins courants adaptés ;
• Gérer les flux de victimes : les victimes vont être évacuées selon un mode raisonné et temporisé par
une « régulation » respectant la golden hour et préparant l’accueil hospitalier ;
• Assurer conjointement les gestes qui sauvent : l’acte diagnostic doit être accompagné des gestes
de secours ou de soins nécessaires adaptés à la compétence du trieur.

Quels sont les critères du triage ? Ils tiennent compte de :

• La gravité de l’état clinique :
L’état fonctionnel définit deux catégories : risque vital immédiat ou potentiel, pas de pronostic vital (état
de conscience (air-way), de la ventilation, de la circulation et leur évolutivité).
• La spécialisation du trieur :
Invité par les chirurgiens, le triage est assuré par des urgentistes. Les psychiatres, les pédiatres, les
brûlologues ont proposé leurs critères. Sur le terrain, les secouristes et les paramédicaux utilisent des
critères simplifiés.
• L’organisation de la filière de secours et soins :
Les critères sont différents s’il s’agit d’un champ de bataille (organisation OTAN : rôles 1-2 et 3) ou
de catastrophes civiles (organisation de type SAMU) ; selon les délais d’évacuation et la capacité du
plateau technique d’accueil ; adaptés si décontamination, chirurgie longue ou complexe.

Quels sont les systèmes retenus ?

Le triage classique effectué par un médecin expérimenté :
Quatre catégories regroupées en deux familles ont été retenues à partir de l’état fonctionnel, le pronostic, les modalités d’évacuation (voir Tableau 1) :
Extrêmes Urgences – U.E : en danger de mort nécessitant des soins immédiats : transport médicalisé avec une admission rapide vers un bloc opératoire avec réanimation.
U.1 : Danger de mort par troubles irréversibles rapides : Chirurgie avant 6 h après réanimation efficace. Evacuation médicalisée.
Ces deux catégories sont les Urgences Absolues, couleur rouge. Red Priority 1 ou Immediate des anglo-saxons.
U.2 : Non immédiatement en danger, traitement différable 18 h : blessés sérieux nécessitant une hospitalisation : évacuation par ambulance médicalisée ou non : fractures de diaphyse fermées, plaies des parties molles, T.C. conscients…
U.3 : Traitement différable 36 h : blessés légers avec soins ambulatoires. Transport en ambulance si possible.
Ces deux catégories constituent les Urgences Relatives, jaune. Yellow : Priority 2 ou delayed,
La couleur verte est attribuée aux impliqués (Green : minimal ou non urgent) qui peuvent nécessiter de petits soins et un suivi d’éventuelles évolutions psychologiques.
Ce tableau est complété généralement par :
les Urgences fonctionnelles : oeil, main, face et mandibule, classées rouge ;
les Urgences potentielles : blast pulmonaire, crush, intoxiqués… classés jaune avec surveillance.

Le pré-triage réalisé par un non médecin :
C’est le Simple Triage And Rapid Treatment (START), adopté et généralisé par l’OMS et l’OTAN, il définit des catégories auxquelles il attribue, sur des données cliniques simples, une couleur et une CAT (voir Tableau 2) :
Complété par les gestes de sauvetage : contrôle des hémorragies, prévention de l’hypothermie, décontamination
sèche, etc, le START est un pré-triage dans le cadre de la filière pré-hospitalière civile.

Les triages spécialisés :
• Le triage OTAN des blessés de guerre :
Adapté aux combats de basse intensité, il privilégie la rapidité d’évacuation en tenant compte de la filière de soins et d’évacuation militaire (rôles 1, 2 et 3). Basé sur deux critères : signes fonctionnels, importance des soins (réa et chir), il distingue :
• Les Urgences absolues classées α ou T1, Immediate ;
• Les Urgences relatives, β ou T2. Delayed ;
• Blessés légers ou éclopés, T3, Minimal ;
• Patient trop gravement blessé avec chance de survie très limitée : Urgence dépassée, T4, Expectant.
Le triage des brûlés :
Les spécialistes ont proposé un classement des brûlures des 2e et 3e degrés :
• brûlure > 50 % : classement Extrême Urgence, rouge ;
• brûlure entre 15 et 50 % : 1ère urgence, rouge ;
• inférieure à 15 % : deuxième urgence, jaune.
Tenir compte des brûlures de l’appareil respiratoire, des zones de pli, de la face et du cou…
• Le triage proposé par les psychiatres :
Toute personne dangereuse pour autrui ou lui-même : 1ère urgence, rouge.

Tableau 1 : Triage en vue de l’évacuation



Tableau 2 : Algorithme du START

Suivre la progression classique avec rapidité et précision3 :

Interrogatoire avec relevé des données anamnestiques,

Examen fonctionnel :

Neurologique : airway si troubles de la conscience, profondeur d’un coma par score (Glasgow Coma
Scale), signes de localisation ;
Ventilatoire : fréquence ventilatoire, cyanose, tirage, asymétrie thoracique ;
Circulatoire : fréquence cardiaque, pouls, circulation périphérique et capillaire, signes de choc (malaise, pâleur et sueurs, pouls accéléré et filant, cyanose des extrémités).

Ensuite examen lésionnel réalisé sous toutes les faces :
• revêtement cutané, crâne, cuir chevelu ;
• cou, lombes, thorax, abdomen, bassin osseux ;
• membres et articulations ;
• oeil, mains.

Les pansements préalablement posés ne doivent être ouverts que si nécessaire et de manière à être refermés rapidement.
• Réaliser le tri en 30 à 60 secondes, sans retarder ni les soins, ni l’évacuation ;
• Eviter le sur-triage ou le sous-triage, facteurs de perte d’efficacité.

1. A. Ricard-Hibon et al. Triage et identification des victimes : de la clinique aux implications médico-légales et éthiques. Urgences et situations d’exception. Journées Scientifiques de la SFMU ; Lyon 2009.Société Française d’Editions Médicales. 2010.
2. Henri Julien – Triage des victimes en situation d’urgences collectives. In Manuel de médecine de catastrophe. Lavoisier Médical. Paris 2017 ; 157-175
3. L.J. Courbil. Les principes du triage appliqués au temps de guerre et à la catastrophe- Bull. Ac. Nat. Med. 1988, 172, 333-346.